En Pays Stéphanois, culture et barbelés

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Réflexions


La charge identitaire d'un territoire

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Lors du 1er Forum des territoires à  Vitteaux, le Samedi 31 août 2013, consacré à la cohésion territoriale et la mondialisation de l'économie. Près de 200 élus présents pour des échanges riches et dynamiques autour de Gaël Sliman, Nicolas Jacquet, Gérard-François Dumont, Daniel Mandon, Alain Suguenot, Guillaume Larrivé et Jean-Christophe Lagarde !

 

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 Article :

 

La charge identitaire d’un territoire

 


Par Daniel Mandon

 

Le verbe étant une manière de seconde existence, le discours sur l’identité ne fait, la plupart du temps, que masquer un vide, une crise de références et renvoyer à la grande querelle du sens. L’absence de finalité, souvent de projection, semble marquer une époque où le changement se confond avec la fuite en avant, la rupture avec le retournement et la croissance avec l’excroissance. L’identité nous hante, comme la quête de soi.

 

Dans sa dimension sociale, culturelle, territoriale, la question de l’identité donne sens à l’existence. Qu’il s’agisse de la langue, de la religion, des mœurs, elle pose les problèmes de l’appartenance et des particularismes, de la sociabilité et de la citoyenneté, de lindistinction et de la différence, et cela, dans l’expérience de l’espace public. Appliquée à un territoire, la notion d’identité renvoie aux regards changeants et aux représentations les plus contradictoires.

 

Quelle société, quelle ville, au-delà des images, n’est pas peu ou prou en quête d’elle-même ? Le département n’est-il pas lui-même en quête de son identité ? Quel est le lien social qui nous unit ?... sur quoi se fonde notre sociabilité ?

 

Du témoignage au regard critique

 

C’est à la fin des années 1960 que ma réflexion sur l’identité culturelle, avec mon premier ouvrage : les Barbelés de la culture, que j’ai abordé cette question digne de la quadrature du cercle. On croit connaître ; on tente de comprendre et l’on est souvent surpris. L’identité d’un territoire, si délimité soit-il, nous échappe toujours,

 

Mais ma réflexion, à mi-chemin de l’observation participante et du témoignage, nourri de plus de trente ans d’une vie publique, comme maire et conseiller général, a été marquée par le tournant de la décentralisation et de la déconcentration du pouvoir central qui délègue toujours plus ses compétences, comme par les nouvelles formes d’intercommunalité.

 

Si j’ai pu me réjouir un temps de cette évolution positive pour notre démocratie, aujourd’hui, cet acquis mérite d’être parachevé. Il faudrait écrire un nouvel ouvrage sur les barbelés de l’identité territoriale ou l’enfermement identitaire ! En réalité, ma démarche, si elle s’appuie sur les sciences sociales, la géographie et l’histoire, se veut aussi bien, la réflexion d’un explorateur de sa propre société ou d’un observateur parfois, peut-être, trop engagé, lucide mais pas désabusé, que celle d’un témoin et d’un acteur passionné, vigilant mais pas rancunier. Or si j’avoue avoir mal à mon territoire ! ni l’âge, ni l’expérience n’autorise à jouer les Cassandre.

 

Mais était-il nécessaire de mobiliser l’anthropologie et les sciences humaines pour en arriver à énoncer ce qui revêt pour moi la figure limpide de l’évidence ? En fait, ce thème de l’identité et de l’appartenance territoriale sollicite plus particulièrement le regard pénétrant de la démarche ethnographique et l’attention décalée de l’anthropologie ; et c’est en imputant à celle-ci une obsession de l’identique que d’aucuns firent son procès, précisait Claude Lévi-Strauss, dans un séminaire sur l’identité.

 

Pourtant, le témoin et l’acteur ne peuvent guère se fondre dans la peau de l’observateur. Certes, on peut successivement assurer ces différents rôles, dans l’action ou la réflexion; mais, dans le même temps et le même espace, n’ayant pas le don d’ubiquité, on ne peut, à la fois, être à la fenêtre et se regarder passer dans la rue. On pourrait rappeler ici l’avertissement de Raymond Aron, dans son introduction à l’ouvrage de Max Weber : « On ne peut être dans le même temps homme d’action et homme d’études, sans porter atteinte à la dignité de l’un et de l’autre.» C’est tout le pathétique de l’action et de la réflexion que cette antithèse de deux démarches opposées et pourtant si complémentaires.

 

L’étude historique, sociologique ou de manière plus générale, scientifique, requiert modestie et grande disponibilité de l’esprit, voire une certaine liberté dans l’engagement. Quant à l’action politique, déchirée entre l’éthique de conviction où les bonnes intentions risquent de justifier l’acteur et l’éthique de responsabilité qui fait prendre la mesure des conséquences de ses actes, elle requiert la mobilisation de toutes les énergies : « une théorie de l’action est un théorie du risque en même temps qu’une théorie de la causalité….» (R. Aron : Max Weber : Le savant et le Politique) C’est à cette croisée des chemins, à ce carrefour de la pensée et de l’action que se situe le point d’ancrage de cette démarche pour aborder cette problématique de l’identité et du territoire.

 

Identité culturelle et appartenance territoriale : le miroir aux alouettes

 

L’histoire n’est faite que de conflits territoriaux visant à donner à l’identité la consistance réelle d’une existence dans l’espace. L’entrecroisement fréquent de ces deux concepts d’identité et de territoire si chargés de connotations politiques, apparaît bien souvent aussi conflictuel que confus. Car, au-delà des diagnostics identitaires et de l’étude des enjeux de pouvoir, l’actualité fourmille d’exemples illustrant ce débat hasardeux : qu’il s’agisse de la réorganisation territoriale de l’Etat, de la politique de la ville, de la crise des banlieues, de l’aménagement du territoire, de l’intercommunalité, de la modernisation des services dit de proximité.... hôpitaux, tribunaux, administration fiscale, ....

 

Cette notion si controversée d’identité peut-elle être opératoire pour saisir la complexité d’un découpage territorial ? Faudrait-il donner raison à l’écrivain péruvien, le romancier et essayiste Mario Vargas Llosa qui, refusant l’idée d’une identité péruvienne estime au contraire que « l’identité est le propre des individus et non des collectivités » ? Pourtant la preuve que la question identitaire se pose pour une collectivité humaine à diverses époques et à toute étape importante de sa croissance, ne date pas d’aujourd’hui. La géopolitique est là pour en témoigner.

 

C’est, en effet, à partir de ce véritable pivot de la question identitaire, que se sont posées les autres questions sur l’évolution culturelle, concernant aussi bien les modes de vie que les mentalités, le cadre de vie que les représentations collectives ou l’imagerie, le lien social, la politique ou la religion.

 

La quête actuelle d’identité qui se vérifie sur tous les plans, aussi bien individuel que collectif, révèle ainsi une véritable méprise identitaire. La fluidité des sociétés pluralistes contemporaines où l’individu désencombré d’appartenances traditionnelles, plus ou moins dévaluées, oublie facilement des solidarités organiques obligatoires. Evoquer une identité collective à partir du territoire suppose une adhésion à cette conscience spatiale partagée.

 

Après tout, il est d’autant plus difficile de saisir une identité qu’elle évolue sans cesse et que la décrire ou s’en réclamer en un temps et un espace donné, est d’une certaine manière la figer, la réduire. Peut-on réduire une vie à un curriculum vitae ou à une épitaphe ! Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir, comme la mode Ch’ti dans le Nord, avec le succès exceptionnel, en 2008, du film Bienvenue chez les ch’tis, le retour et la fortune des stéréotypes du gaga ou encore du marseillais aujourd’hui ....

 

Certes, l’identité commence par le poids du passé, le déterminisme de l’histoire. Mais, une identité collective est le fruit d’une dynamique qui nous permet de changer tout en restant nous-même, comme l’eau de la rivière, chez Héraclite, (panta rei). C’est bien là que s’articulent continuité et changement, souvenirs partagés et projection dans l’avenir, tradition et créativité. En ce sens, le politologue Jean-François Bayart a raison de le souligner : « Toute identité est un simple fait de conscience, relatif, incertain. » (J.F. Bayart : L’illusion identitaire, Fayard – 1996).

 

Quant au terme de territoire, emprunté à l’éthologie par les géographes, envisagé « comme support identitaire ou comme producteur d’identité » (L’espace géographique, n°4,2006, Débat sur l’identité territoriale), convient bien, en effet, aux institutions et aux diverses instances de pouvoir : Etat, région, département, ville… Ce mot utilisé depuis quelques décennies dans le débat du local et du global, permet « de désigner la multiplicité des attaches reliant l’homme à ces poussières d’espace dans lesquels nous gravitons (espace de vie) et auxquels nous nous identifions (espace vécu).

 

Indifférenciés ou fortement investis de sens par tel ou tel groupe humain, citadins ou ruraux, ces espaces émergent comme  prétexte identitaire : « on parle ainsi d’urbanités flexibles, d’identités choisies… de territorialité mouvante. » Mais, constatant l’immatérialité croissante des territoires, comment restituer un monde en constante évolution. On ne peut que renvoyer ici aux analyses pertinentes de Gérard-François Dumont (Population et Avenir), spécialiste de la gouvernance territoriale, qui souligne les enjeux du territoire « là où s’exerce une autorité politique. »

 

Aussi, la prise en compte de cette dimension territoriale de l’identité culturelle semble-t-elle ici essentielle pour tenter d’analyser les dynamiques du changement. Cette question si actuelle au regard de la politique d’aménagement du territoire correspond à un mode de référence que le philosophe Marcel Gauchet appelle, dans le contexte de globalisation, « l’âge des identités. » En réalité, ce qui est le plus remarquable dans la quête identitaire, ce n’est pas sa réalité, mais son efficacité ; car c’est elle qui permet cette volonté d’affirmation d’une appartenance, mais aussi parfois, le repli du citoyen dans sa citadelle culturelle.

 

Max Ernst la reprenait à son compte pour illustrer de manière prophétique la fièvre identitaire actuelle: l’identité sera convulsive ou ne sera pas.  Il ne croyait pas si bien décrire l’agitation qui entoure les débats sur les crises identitaires que traverse la société à l’heure de la mondialisation économique ou plutôt d’une globalisation accélérée des échanges. Car, l’identité est crise, métamorphose ; elle se définit à travers l’histoire comme une succession de crispations plus ou moins bien supportées.

 

Vous avez dit proximité ? Imaginaire identitaire et repli sur le local 

 

Dans les années 1960, l’ethnologue Edouard Hall lançait une approche anthropologique spécifique, la proxémie, censée analyser scientifiquement le rôle que joue la distance entre les membres d’une organisation ou d’une institution dans l’exercice de leurs responsabilités réciproques. N’est-ce pas, en effet, la démocratie locale, plus particulièrement la commune, véritable laboratoire, qui valorise la politique par la disponibilité et le vrai sens de l’écoute ? « Les élus locaux, piliers de la démocratie », titrait le journal La Croix (11/02//2008)

 

Cette quête ne cache-t-elle pas un repli sur le local qui ne saurait cacher le déficit du vieux principe de subsidiarité? C’est son application qui devrait régler tant de simples problèmes ou de petites difficultés, au plus près de la réalité locale. Nous en sommes loin !

 

En fait, les ressorts d’une quête identitaire qui soude une population et qui l’autorise à dire : nous autres...., comme une fable collective, répondent à la construction d’un sentiment bien réel d’appartenance, à une large part de fiction, d’images et d’appropriation plus ou moins mythique, où le mémoriel l’emporte sur l’histoire.

 

Les transformations géographiques à mettre en œuvre auraient du correspondre à un meilleur ajustement en termes de découpage politique, avec la réalité d’un espace urbanisé et profondément transformé par l’histoire, au moins depuis un siècle, un monde de mobilité et d’échanges où « les flux l’emportent sur les lieux » (Olivier Mongin : Esprit –2008, Le local, l’Etat et la politique urbaine). Aussi, les mots clés de proximité, de développement durable, de ruralité, servent-ils souvent de prétexte pour se dispenser d’analyser une situation de plus en plus complexe et éluder toute discussion.

 

Partout au cœur des débats sociétaux actuels s’imposent, parfois violemment et douloureusement, les problèmes de découpages territoriaux, d’identité et de pouvoir. D’ailleurs, leur traitement politicien l’emporte si souvent sur un réel aménagement économique et politique du territoire que chaque partenaire n’a de cesse de se renvoyer la balle.

 

Ruralité ou rurbanité : « Lorsque la ville s’ébroue dans le pré »

 

Lorsque la ville s’ébroue dans le pré, titrait les Cahiers de la décentralisation ! Une ruralité plus ou moins fantasmée, souvent symbole d’air pur, de sérénité, d’authenticité, a toujours représenté un attrait pour les citadins, en quête de logis avec gazon –paillasson. Pourtant, comment ne pas s’interroger : serait-ce la fin du jardin à la Française ?

 

La ruralité est alors auréolée de toutes les vertus morales et politiques : le fameux lien social, est sa vraie richesse, son apanage. La ruralité correspond autant à cette nouvelle quête éthique qu’à une demande croissante de retour à la nature sous toutes ses formes. Dans un monde et une société de plus en plus urbanisée où l’amour de la nature est surtout l’antidote des agressions urbaines (vieille histoire depuis le 18 ème siècle, du Télémaque de Fénelon aux romantiques en passant par Rousseau et les physiocrates)

 

C’est, en effet, dans cet espace d’échange que l’empreinte rurale originelle des citadins rejoint curieusement une urbanité de comportements néo-ruraux, véritable chassé-croisé d’aspirations contraires que ne démentirait pas Alphonse Allais, avec le mythe qui l’a rendu célèbre de mettre la ville à la campagne. La boutade qui lui est ainsi attribuée ne révèle-t-elle pas une aspiration pérenne des populations urbaines à un style de vie qu’elle espère plus harmonieux, un désir de complétude, en quelque sorte. D’ailleurs, que serait la ville sans la campagne et réciproquement? Il ne s’agit plus seulement d’utiliser des concepts novateurs comme l’agri-tourisme ou l’action agri-culturel (!), mais d’observer  l’esquisse d’un mouvement social de recomposition et d’invention de nouveaux modes de vie collective sur ces espaces ruraux. (F.Poulle et Y.Gorgeu : Essai sur l’urbanité rurale)

 

Avec l’arrivée de nouveaux habitants venus de la ville, l’installation de jeunes ménages ou de retraités, cette dissociation entre les lieux de résidence et de travail s’accroît, malgré quelques tentatives peu significatives de télé-travail. Avec la progression des services à la personne, elle engendre une économie résidentielle, supérieure à l’économie dite « productive ».

 

Ainsi, ces termes d’urbanité et de ruralité ont-ils donné naissance, dans les années 1970, à un néologisme, la rurbanité. Résultant d’une étrange contraction syncrétique, cette terminologie intermédiaire, révélatrice à la fois des mutations en cours, de l’esprit du temps et des phénomènes de mode - horresco referens ! - s’est condensée dans le mot-valise de rurbain. Là se rencontrent des urbanités aussi bien urbaines que rurales qui ne reproduisent pas ou ne recoupent pas vraiment la ville. Le rurbain à la Française pourrait se résumer au travailler, consommer en ville et vivre à la campagne.

 

Or, aujourd’hui, jusque dans les zones de production agricole, les habitants ruraux sont de plus en plus dépendants de la ville, tributaires de sa culture et des modes de vie urbains. « Le village s’est ouvert mais du même coup il s’est rétréci; il a perdu de son originalité, il s’est dé-civilisé devant les assauts de la cité qui lentement se rapproche », écrivait l’anthropologue Pascal Dibie, il y a déjà vingt-cinq ans, dans Le village retrouvé. (Le village retrouvé, essai d’ethnologie de l’intérieur) Dans un autre ouvrage remarquable : Le village métamorphosé, révolution dans la France profonde, il souligne à la fois les ambiguïtés et la complexité du phénomène.

 

La campagne s’enrichira-t-elle pour autant de l’appauvrissement des villes ? Rien n’est moins sûr, tant il est vrai que tout développement procède d’une démarche d’interdépendance. En réalité, l’empreinte rurale héritée de tant de siècles, ne révèle-t-elle pas un vieil atavisme paysan qui sommeillerait en chacun de nous depuis toujours, même si le clivage générationnel des moins de trente ans induit une connaissance plus que réduite, touristique, de la ruralité. Avec une certaine nostalgie, peut-être, celle du paradis perdu du jardin originel, la plupart des enquêtes montrent que les deux tiers de nos concitoyens souhaitent habiter une maison à la campagne et rêvent de nature, devenue symbole de vacances, de loisirs, par opposition au monde du travail, de l’étouffement architectural et de la faillite sociale ; au prix d’ailleurs, de migrations journalières et de transports de plus en plus onéreux.

 

Comment ne pas céder aux sirènes de ce retour nostalgique et se consoler ainsi du chagrin d’un monde déboussolé. Le terroir, célébré, chanté, atteint et rejoint dans la conscience malheureuse et immémoriale de ses vertus, de René Bazin (La Terre qui meurt...) à Jean Ferrat (La Montagne), en passant par les chantres de la Révolution Nationale de Vichy : La terre ne ment pas !....la grande tradition naturaliste et préromantique du XVIII ème siècle, de Fénelon à Rousseau et Bernardin de St Pierre....

 

Comme le faisait remarquer Henri Lefebvre dans les années 1960, la ville gagne partout sur la campagne. Une telle tendance à quitter les villes ne date pas d’aujourd’hui : « C’est ainsi qu’on assiste à une complexification de la population dont l’homogénéité n’est plus la règle depuis une quinzaine d’années. Une population qui, dans sa fuite de la ville et dans la croyance de son installation en zone rurale, trimbale avec elle son lot de visions, d’aspirations, de projets et de problèmes. La question reste de savoir comment concilier une culture de travail en milieu urbain et un imaginaire rural ; comment vivre dans cette contradiction permanente entre la séduction de la culture urbaine et l’attrait pour une vie rurale que l’on s’imagine harmonieuse et familiale… »( P. Dibie : Le village retrouvé, essai d’ethnologie de l’intérieur, Paris, Grasset 1979/ Aube- Essai 2005.) On ne peut plus de la sorte dissocier le rural de l’urbain, en conservant la vieille et fameuse opposition ville/campagne, tant les échanges sont évidents.

 

N’est-ce pas, en effet, dans cet espace social et culturel privilégié de la ville, ce lieu du travail, ces bureaux, ces rues, ces gares… ce véritable condensé de la vie collective, que nous passons la plus grande partie de notre temps, par obligation, nécessité ou même par simple attrait ludique et culturel.

 

Si la crise urbaine se caractérise essentiellement par l’accumulation en un seul espace de la plupart des difficultés de notre société, telles que l’emploi, le logement, l’école ou la santé… il est encore temps d’y réduire certains écarts ou ségrégations, de corriger des inégalités territoriales parfois criantes en zone rurale et de rendre plus conviviaux les espaces urbains.

 

Continuera-t-on d’opposer la ville à la campagne, l’urbain au rural, au détriment de l’un et de l’autre ? Et de quelle ruralité s’agit-il ? Le système politique français peut-il rester longtemps étanche à l’urbanisation des esprits et de la société comme il reste sourd aux demandes de toute une population rurale qui se sent délaissée?

 

Une décentralisation à la dérive : des occasions manquées

 

La décentralisation n’a a pas fini d’agiter les débats politiques, juridiques et administratifs, qu’il s’agisse des rapports de l’agglomération avec le département, de l’intercommunalité ou de l’interdépartementalité sur laquelle s’appuie la Région.

 

Déjà, à la fin du XIXè siècle, on trouvait, dans un Dictionnaire de la conversation, cette définition assez savoureuse de la décentralisation : « opération réparatrice, par laquelle un gouvernement serait amené à la seule action qu’il doive exercer et cesserait d’intervenir dans les affaires qui peuvent être faites sans lui, beaucoup mieux, ou tout au moins aussi bien, que lorsqu’il s’en mêle. »

 

Aujourd’hui, la décentralisation issue des lois Defferre première manière, ne vit plus son âge d’or. Face à un Etat qui se délite et cherche par une cure d’amaigrissement aussi brutale qu’improvisée à retrouver sa véritable vocation régalienne, dans le climat délétère que connaît notre pays et l’Europe aujourd’hui, le risque est grand de faire progresser la dilution des responsabilités, nourrir l’incivisme, et délégitimer les institutions et l’action publique.

 

Le projet actuel de loi relatif à l’action publique locale ne peut guère nous rassurer. Car le gouvernement a tranché de manière aussi habile que dilatoire. La réforme de la décentralisation sera étudiée par les Assemblées en trois parties :

 

  • D’abord le texte consacré aux métropoles,

  • Ensuite le volet sur le rôle des régions...

  • Enfin, l’examen des solidarités territoriales, autrement dit repousser ce qui fâche au lendemain des municipales !

 

On voit avec quel empressement la réforme s’impose ! Festina lente ! Il en va de même de la suppression envisagée des divers et nombreux comités Théodule.

 

Entre grand chambardement ou big-bang territorial, annoncé à grands renforts de discours ou de colloques, et simple aménagement des niveaux d’administration territoriale, il y a toute la distance qui sépare une décision volontaire et d’un projet velléitaire. Aussi la réforme des territoires ne semble-t-elle pas pour demain,

 

Si l’on en croit, en effet, les dernières analyses de 2013, comme le rapport de J. Marc Rebière-J. Pierre Weiss et les préconisations de la cour des comptes, L’Etat souffre toujours de plusieurs maux, doublons, enchevêtrement de compétences... (cf. l’eau)... Il n’a pas su faire évoluer en profondeur son organisation territoriale et « tirer les leçons de plus de trente ans de d’évolution décentralisatrice. » Dans son action protéiforme, l’Etat « continue d’intervenir sur tout » (ex : permis de construire) Les récentes réformes engagées (depuis 2012, la Map : modernisation de l’action publique), non seulement ne règlent pas des difficultés essentielles, mais « parfois en ont même ajouté de nouvelles. »

 

Quant aux collectivités locales, partout au cœur des débats sociétaux actuels s’imposent, parfois violemment et douloureusement, les problèmes de découpages territoriaux, d’identité et de pouvoir. D’ailleurs, leur traitement politicien l’emporte si souvent sur un réel aménagement économique et politique du territoire que chaque partenaire n’a de cesse de se renvoyer la balle.

 

Penser un nouveau modèle de développement implique une conception plus prospective des équilibres économiques, sociaux, écologiques et respectueuse des solidarités territoriales. Cette nouvelle géopolitique devrait éviter d’accroître « l’illisibilité territoriale » dans laquelle nous nous complaisons. Il ne suffit pas d’ajouter de nouveaux échelons de décisions, à partir des divers épisodes étiquetés  décentralisation  ou aménagement du territoire, comme on l’a fait depuis 1981, pour encourager des solidarités élémentaires et permettre un vrai aménagement et développement durable des territoires, selon l’expression à la mode apparue en 1995 dans le vocabulaire politique.

 

En refusant toute idée de hiérarchie ou même de coordination entre les différents niveaux de collectivités, les lois de décentralisation de 1982, avec « l’idée théoriquement séduisante d’instaurer des blocs de compétences  étanches (qui ont d’ailleurs, très vite cédé le pas devant la clause de compétence générale), ont aboutit à exacerber les concurrences, à  systématiser les pratiques de cofinancement par cinq ou six autorités différentes du moindre projet, de diluer les responsabilités, mais aussi, de conduire - c’est un comble ! – à la multiplication de nouvelles structures pour permettre aux différents acteurs d’agir ensemble. » ( Michel Piron : Le Monde du 18/12/07).

 

Il ne s’agit donc plus d’aller plus loin dans la décentralisation, en transférant de nouvelles compétences de l’Etat aux collectivités territoriales, mais de simplifier des structures de plus en plus enchevêtrées. L’avenir d’un territoire ne se dessine pas seulement dans une démarche dite participative de ses habitants. L’intelligence collective n’est pas forcément supérieure à l’intelligence particulière ; les deux sont nécessaires pour que le débat ne soit pas confisqué par les mêmes meneurs.

 

La frilosité ou la nostalgie des uns, comme l’engouement et la précipitation béate des autres, ne saurait suffire pour obtenir une convergence des ambitions pour un projet de territoire attractif et identifié. Dans le bocage administratif français actuel, se pose la question de l’articulation des divers échelons. Avec un tel fatras d’organismes, les redondances surabondent, engendrant des sureffectifs en pagaille. La multiplication et l’enchevêtrement des institutions locales semblent se poursuivre inexorablement, favorisant indirectement l’omniprésence de la technostructure d’Etat.

 

La poupée-gigogne de la région est souvent le fruit d’une inter-départementalité reposant sur le Département dont l’antériorité historique impose par ailleurs des découpages territoriaux obsolètes et inadaptés, quand il ne s’agit pas de véritables provinces comme la Bretagne, par exemple, dont la forte légitimité politique s’appuie sur une indéniable identité historique.

 

Identité territoriale et gouvernance locale

 

Agir local penser global ! La gouvernance locale, la gestion d’un territoire, constituent un véritable laboratoire de la démocratie où l’on passe de la vie associative ou de l’action sociale à l’action politique. L’ouvrage récent de Gérard-François Dumont (Diagnostic et gouvernance des territoires) contribue à préciser ce concept de gouvernance territoriale, à en donner une définition opérationnelle, et à mieux diagnostiquer les inégalités entre territoires.

 

Quant à la dimension politique de l’identité, désignée par la notion de citoyenneté avec les droits civils et politiques qui s’y rattachent, on ne peut oublier qu’elle s’inscrit sur un territoire. En ce sens la politique serait donc « l’ensemble des formes que revêt l’inscription de nos identités dans l’espace public … espace de confrontation, dans lequel se rencontrent en s’opposant parfois les unes aux autres, les stratégies d’engagement des acteurs sociaux porteurs de leur identité politique. » (Bernard Lamizet : Politique et Identité, PUL – 2002) La distinction entre territoire d’appartenance et de sociabilité est au cœur de cette définition.

 

Tirer les conséquences d’un nouveau contrat géopolitique revient aussi à remettre en question la légitimité politique des territoires administratifs traditionnels. L’espace public se recompose progressivement, nous venons de le voir, au profit de ce que l’on appelle des territoires de vie. Ils s’imposent par leur réalité d’usage, avec le temps de transport, l’emploi, la distribution et la consommation, sur un plan non seulement économique mais aussi culturel.

 

 

 

C’est sans doute un trait spécifique du mal français, à tous les niveaux de gouvernance, économique, social, culturel, écologique, les décalages semblent s’accélérer entre une réalité économique et des structures administratives héritées des siècles passés… A une époque où partout dans le monde l’Etat recule devant le marché, les découpages institutionnels du territoire sont en retard par rapport à la réalité des bassins de vie et d’emploi.

 

La véritable déferlante éditoriale des années 1990 témoignait de l’importance prise par le local, comme premier niveau de gouvernance dans une démocratie qui se veut de plus en plus de proximité et, paradoxalement, dont les enjeux sont de plus en plus éloignés, européanisés, mondialisés.

 

Le paradoxe n’est qu’apparent ; car le concept traduit une inquiétude profonde en réaction à ces phénomènes de globalisation et de mise en réseau. Utilisé sans relâche pour exiger non seulement de petits services publics, hôpitaux, tribunaux… mais aussi, au nom d’un conservatisme invétéré et d’une nostalgie passéiste coutumière, pour justifier parfois des équipements totalement obsolètes ou inadaptés, cet incontournable argument de la proximité autorise, de la sorte, les pires abus d’inégalité et d’injustice dans le découpage administratif du territoire.

 

Certes l’inadéquation plus ou moins prononcée entre l’identité d’un territoire et son découpage administratif ou la gouvernance qu’on lui impose, n’ont pas fini de faire couler l’encre de la polémique. Une telle inadéquation est suffisamment pérenne pour qu’on y voie l’un des ingrédients majeurs de toute histoire locale ou régionale. Mais lorsqu’elle engendre des dysfonctionnements préjudiciables au développement de ce territoire, souvent les réajustements, adaptations et compromis interviennent alors pour éviter le pire.

 

A l’époque de la décentralisation et des intercommunalités, cette question n’est-elle pas portée par l’esprit du temps ? Dans le contexte d’une actualité bouillonnante où l’on nous promet périodiquement une importante réorganisation territoriale de l’Etat, une véritable révolution administrative dans la gouvernance locale, d’une importance inédite, dit-on, depuis plusieurs décennies, les aléas et les réticences rencontrés ici peuvent très bien illustrer cette problématique de l’identité culturelle et de l’appartenance territoriale en d’autres lieux et à d’autres niveaux.

 

Quelle intercommunalité pour quel bassin de vie ?

 

L’intercommunalité à la croisée des chemins, disait Philippe Seguin, au Congrès des maires en 2005. Car l’intercommunalité offre un bilan incertain du point de vue de l’organisation territoriale, comme le soulignait le rapport de la Cour des Comptes, cette année là. Comment faire coopérer des communes si ancrées dans leur socle identitaire ? Et sur quels critères les réunir ? Là encore, les approches et les moyens ne sont pas comparables d’une commune à l’autre. De plus, on ne supprimera pas la part d’arbitraire, inévitablement liée à toute décision administrative de découpage territorial. C’est une sorte de quadrature du cercle !

 

Pourtant, la coopération intercommunale qui n’avait rien d’une nouveauté constituait un moyen efficace de gérer des domaines d’intérêt commun à l’ensemble des communes. Malgré tout, l’intercommunalité à l’heure de la décentralisation constitue une donné essentielle de l’organisation et de la gestion du territoire. Or, l’intercommunalité n’est que très rarement un long fleuve tranquille.

 

L’intercommunalité, véritable pomme de discorde, est alors perçue comme une sorte d’OPA de villes jouissant d’une certaine centralité sur leur couronne périurbaine. Le principe de la libre administration, de nouveau, serait- il battu en brèche ? Les dépenses d’investissement et de fonctionnement, liées à la centralité ne sont pas compensées par les communes voisines qui en profitent. Cela se vérifie à petite et grande échelle, au chef-lieu de canton ou de département.

 

Pour des raisons purement conjoncturelles, on comprend aisément que la recherche d’un périmètre intercommunal pertinent n’ait pas été la priorité des élus locaux ni celle des représentants de l’Etat. De nombreuses intercommunalités de convenance ou d’opportunité, faute de périmètre pertinent, sont à la recherche d’un illusoire et introuvable intérêt communautaire, sensé nourrir des projets de territoire qui ne sont trop souvent que poudre aux yeux, exercice formel de copier - coller, parfois même, bouillie pour les chats.

 

Les exemples ne manquent pas pour illustrer ce genre d’exercice convenu : que d’élaboration fastidieuse, avec force palabres et jeux de rôles, de projets de territoire qui ne sont qu’habillage et simple soumission à l’obligation juridique et aux règles de l’intercommunalité. Dans ces conditions, peut-on vraiment se forger une identité commune à partir d’une démarche aussi insipide. Un rapport récent de la Cour des Comptes ne mettait-il pas en garde contre la multiplication des communautés de communes ? La légèreté, pour ne pas parler de lubie, la rapidité, parfois l’extravagance avec laquelle on a procédé à leur création, évoque plus le royaume du père Ubu, qu’un nouveau mode de gouvernance.

 

De plus, à structure nouvelle, dépenses nouvelles et parfois redondance fiscale, comme c’est souvent le cas d’une intercommunalité transformée en véritable piège fiscal et dont le budget s’avère dans l’avenir de plus en plus difficile à équilibrer, quand le mille-feuilles administratif se mue en mille-feuilles d’impôts ! (Certains départements ployant sous le poids du social, n’ont d’autres solutions, dit-on, que de lever fortement l’impôt...) Que d’irresponsabilité, de gâchis  et de mensonges, malgré des dénégations périodiquement martelées qu’aucune dérive de la fiscalité locale ne serait tolérée, dans le processus de mise en place de l’intercommunalité et de la décentralisation !

 

Tous les élus n’acceptent pas un type de gouvernance qui leur retire, malgré tout, une part de décision. Car, la commune reste, malgré tout, l’échelon privilégié de l’identité et de la citoyenneté, le lieu d’appartenance par excellence où l’on apprécie le mieux les intérêts communs ; d’où l’attachement presque viscéral des citoyens à leur clocher. Pourtant, la réalité de la gestion des villes et des villages, pour une large part, se joue maintenant ailleurs.

 

Conclusion

 

Dans un monde globalisé, hanté par le spectre d’un effacement des différences, les phénomènes de repli et de clôture abondent. Les constructions identitaires demeurent donc des aventures dangereuses, ne serait-ce qu’à cause de la fluidité extrême du concept d’identité et de son usage généralisé. L’identité territoriale peut être la meilleure ou la pire des choses : la survalorisation des liens identité- territoire mène aux conflits que l’on sait !

 

L’identité a un vrai visage, bien au-delà des racines, de l’attachement, de l’appartenance à un coin de territoire : celui de la conquête et du projet. Sa logique n’est pas celle de la répétition et de la stabilité, mais au contraire, implique projection, créativité et inventivité. Chercher le critère d’identité d’où serait censé procéder tel ou tel découpage administratif territorial est donc assez illusoire.

 

Certes, reconnaître à un espace de vie commune toute sa dimension symbolique identitaire revient à prendre en compte la réalité concrète que représente une certaine idée du vivre ensemble. Mais ce coefficient affectif que comporte tout projet d’organisation du territoire n’a pas fini de fausser le débat : l’identité d’un territoire ne se décrète pas, elle se vit au quotidien, comme mémoire, comme conscience collective et comme projet

 

Heureusement, les structures administratives et politiques de notre pays qui ont prouvé à plusieurs reprises au cours de l’histoire leur solidité et leur efficacité, témoignent d’une réelle capacité d’adaptation. Le risque est grand parfois de jeter le bébé avec l’eau du bain ! L’équilibre comme la santé chez le docteur Knock est « un état précaire qui ne présage rien de bon » ; si ce n’est une suite de déséquilibres qui se compensent ! Les mouvements cadencés du cœur, où diastole et systole assurent le rythme de la vie individuelle, ressemblent étrangement à l’ouverture et à la fermeture qui scande si souvent les échéances électorales de notre vie politique, sous le prétexte facile de l’alternance.

 

Après tout, l’évolution sociétale ne s’apparente-t-elle pas souvent à la marche des écrevisses ! Comme l’a si bien formulé Chamfort, à la fin du XVIII ème siècle : « Le public est gouverné comme il raisonne. Son droit est de dire des sottises, comme celui des ministres est d’en faire. »

 


04/09/2013
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Des lois et des mœurs : Trop c’est trop !

Des lois et des mœurs :

Trop c’est trop !

 

 

Les débats actuels - ou plutôt les combats - sur les institutions, les lois, les mœurs et les mentalités, méritent plus qu’un intérêt tactique au service de calculs politiciens. Ils révèlent le profond désarroi d’une société sans repères qui se blottit dans la sécurité de certitudes convenues et illusoires. Notre insatiable culture consumériste échappe difficilement à la séduction de sirènes aussi plantureuses que les surenchères qu’elles n’ont de cesse de provoquer.

Dans les débuts d’une nouvelle législature, l’euphorie, le désir, comme l’empressement de bien faire et de réaliser « tout et maintenant » animent nombre de nouveaux élus. Souvent, cela ne va pas sans provoquer d’inévitables démangeaisons. La bougeotte légale est bien connue : trop gratter cuit comme trop légiférer nuit ! Toute une génération héritière de mai 68 aurait du s’en souvenir pour être moins présomptueuse, car le changement c’est rarement maintenant !

Savoir que l’on ne peut tout régler par des lois, a fortiori dans une crise morale aussi grave, c’est faire preuve d’humilité et de patience. La jurisprudence qui fournit les matériaux de la législation est là pour nous rappeler que les codes s’élaborent avec le temps et l’expérience. On ne peut isoler le présent du passé, pas plus l’avenir que du présent. Les législateurs qui se prendraient pour des dieux condamneraient les juges à n’être plus des hommes ! Une nouveauté hardie ne se révèle hélas trop souvent qu’une erreur brillante ! C’est en ces termes qu’un magistrat, lors de la cérémonie de rentrée de la Cour de Cassation en octobre 1937, rappelait la vieille sagesse qui veut que les lois civiles s’écartent le moins possible des mœurs et des mentalités.

Il y a bien longtemps, en effet, qu’Horace chantait déjà, cette prudence, dans l’une de ses Odes, avec ce fameux vers toujours d’actualité et qu’avait repris Cicéron : « Quid leges sine moribus, vanae proficiunt... » A quoi servent les lois, en effet, si elles ignorent les mœurs : oeuvre vaine et sans lendemain, si le législateur promulgue des lois qui contrarient des convictions, des coutumes ou des traditions enracinées dans « les entrailles même du peuple. »

L’expérience de l’historien pourrait aussi témoigner de cette grande méfiance à l’endroit d’initiatives législatives intempestives ou confuses qui n’aboutissent parfois qu’à braquer ou faire reculer l’évolution des mentalités. Dans son célèbre ouvrage sur La Cité antique, l’historien Fustel de Coulanges rejoint le juriste : « S’il est quelque fois possible à l’homme de changer brusquement ses institutions, il ne peut changer son droit privé et ses lois qu’avec lenteur et par degré. C’est ce que prouve l’histoire du droit romain, comme celle du droit athénien. » Les lois civiles doivent donc le moins possible affronter violemment ou brusquer les usages en vigueur d’une manière de vivre qu’elles doivent pourtant diriger, modifier et parfois corriger, en quelque sorte, une saine application sur de telles réformes sociétales du fameux principe de précaution dorénavant inscrit dans notre constitution.

A ce prix, les institutions nouvelles gagneront, justification, permanence et stabilité. « Il appartient au législateur, a écrit Montesquieu, de suivre l’esprit de la nation. Car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement et suivant notre génie naturel. Il ne faut pas tout corriger.... » Sans un minimum de consensus, de respect d’un ordre naturel que notre monde du virtuel aurait tort de remiser dans les oubliettes de l’histoire, le législateur peut légiférer vainement, exercer son pouvoir sans autorité, vaincre sans convaincre.

Cette violence exercée à l’endroit du mariage au nom d’une prétendue égalité de droit pour tous les couples en restera une illustration notoire. Alors que le pouvoir appelle de tous ses vœux pour 2013 au rassemblement face aux périls intérieurs et extérieurs, peut-il, au risque d’une division, d’une excitation et d’une démoralisation du pays, bouleverser d’un trait de plume législatif le mariage et la filiation, changeant brutalement le sens de mots connotés depuis des siècles ?

Si par malheur, comme l’escomptent certains esprits partisans, l’agitation actuelle devait servir de rideau de fumée pour cacher les avatars d’une politique malheureuse ou trop improvisée, les avantages de cette tactique ne sauraient à la longue éviter le refus, voire la colère, d’un peuple ainsi abusé. Car la profonde évolution des mœurs qui concerne notre civilisation implique que l’on y réponde avec une autre mesure que celle d’une instrumentalisation politique, fut-elle démocratiquement labellisée.

Par contre, à l’instar des grandes lois, comme celle de 1901 ou de 1905, le débat, la négociation, l’application, la jurisprudence et la durée, devraient permettre, à cette condition, de transformer en bonne loi une aventure législative trop liée aux promesses électorales. Alors, l’émotionnel céderait le pas au rationnel pour diminuer les pressions éphémères d’une opinion trop formatée par des médias parisiens et des groupes activistes qui, à partir de situations particulières douloureusement vécues, exploitent facilement une émotion que l’on retrouve périodiquement dans ce genre de débat. Comme l’écrit Bruno Frappat : « les larmes et les lois ne sont pas du même ordre. »

A ceux qui prétendent ré-enchanter le monde, lutter contre l’obscurantisme ou jouer les pionniers d’un nouvel art de vivre soit-disant inspiré des Lumières, il faut dire que ce genre d’arguments relève d’une distinction éculée entre les enfants de Dieu et les canards sauvages : L’exercice libéral ou libertaire d’une Liberté qui achoppe sur une Egalité plus ou moins fantasmée, ne peut s’épanouir sans la Fraternité. Et il est bon de se rappeler que rien ne se fait de grand sans un minimum de consensus, de générosité, d’expérience et de temps.

Ce n’est pas être ringard ou réactionnaire que de dénoncer la facilité, les modes démagogiques ou les dérives du moment. C’est au contraire être avant-gardiste d’une société plus exigeante en humanité. Et pour l’anecdote, un exécutif dont le représentant suprême refuse le mariage dans sa vie privée peut difficilement convaincre des maires récalcitrants d’appliquer une loi déstructurant et dénaturant profondément l’institution du mariage.

Sur de grandes questions morales de société, comme la fin de vie, le mariage, la famille, la filiation, les manipulations génétiques, plus que jamais laissons le temps au temps, celui d’un vrai débat ! Puisse cette sagesse là, l’emporter sur la frénésie de changement, les calculs partisans ou les passions déchaînées.

 
Daniel MANDON, ce 13 janvier 2013


15/01/2013
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Nous ne vivons pas une crise passagère mais une crise structurelle, voire une dépression de civilisation


03/01/2012
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Saint-Etienne hors les murs ?

La notion d'agglomération reste bien floue, même si l'INSEE revient régulièrement à la charge pour nous rappeler qu'elle permet de définir le contour d'un certain nombre de bassins de vie hélas trop souvent ignorés par ceux qui ont en charge l'aménagement du territoire. Combien d'agglomérations en fait s'affranchissent des limites communales et des découpages administratifs ? Le pays stéphanois s'étend désormais en direction de la Haute-Loire au mépris des frontières départementales ou régionales.

Les dernières données publiées par l'INSEE sont intéressantes à cet égard pour le pays stéphanois comme l'a signalé récemment un article de Dominique GOUBATIAN, paru dans Le Progrès du 30 juin 2011 :

 

30 juin 2011


Leprogres.fr

Habitat : Saint-Chamond fait la jonction avec Saint-Etienne

LeProgres.fr - Publié le 30/06/2011 à 00:00

L’INSEE indique que l’habitat est continu entre Saint-Etienne et la vallée du Gier.

L’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) vient de publier une note sur les unités urbaines dans la région Rhône-Alpes. Il s’agit là de montrer l’évolution de l’habitat. Dans une région très urbanisée où 81 % de la population vit en ville, nous assistons à une continuité de l’habitat entre les villes.

L’agglomération stéphanoise illustre bien ces unités urbaines où l’habitat y est continu. Déjà à la fin des années quatre-vingt-dix Saint-Etienne, sa couronne et les communes de la vallée de l’Ondaine formaient une unité urbaine avec 290 000 habitants.

Depuis le recensement de 2007, l’INSEE souligne que « l’unité urbaine de Saint-Etienne a accompli la jonction avec Saint-Chamond, l’ensemble incluant la vallée du Gier jusqu’à Rive-de-Gier ». Cela signifie que désormais entre Saint-Etienne et Saint-Chamond les zones d’habitation sont continues. L’INSEE explique cette continuité du fait que « des bâtiments sont distants de moins de 200 mètres ». Pour l’Institut de la statistique, l’unité urbaine de Saint-Etienne compte 33 communes et 372 967 habitants. Des chiffres qui comprennent 3 communes de la Haute-Loire (Aurec-sur-Loire, Pont-Salomon et Saint-Ferréol-d’Auroure).

L’extension de l’unité urbaine entraîne le passage de communes du rural à l’urbain. En Rhône-Alpes 280 communes ont changé de statut. Dans l’unité urbaine de Saint-Etienne, l’INSEE a identifié 2 communes qui sont passées du rural à l’urbain : Caloire et Chagnon qui ont été rattachées à des communes déjà urbaines par la continuité de l’habitat.

Dans la Loire, la population urbaine est estimée à 598 027 habitants sur 759 948 habitants. Une population urbaine stable puisqu’elle a augmenté de 1 % entre 1999 et 2007. Outre l’unité urbaine de Saint-Etienne, on peut également citer les unités urbaines de Roanne avec 80 000 habitants et 15 communes, Saint-Just-Saint-Rambert avec 57 000 habitants répartis dans 10 communes et Montbrison avec 20 000 habitants et 6 communes.

 

 

Dominique Goubatian

 

 

Saint-Étienne s’étale de Saint-Chamond à la Haute-Loire

www.leprogres.fr/haute-loire/2011/06/30 - Publié le 30/06/2011

 

L’habitat de l’agglomération stéphanoise est continu depuis la vallée du Gier jusqu’à celle de l’Ondaine. Et plus loin avec Aurec-sur-Loire, Pont-Salomon et Saint-Ferréol-d’Auroure

L’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) vient de publier une note sur les unités urbaines dans la région Rhône-Alpes. Il s’agit là de montrer l’évolution de l’habitat. Dans une région très urbanisée où 81 % de la population vit en ville, nous assistons à une continuité de l’habitat entre les villes.

L’agglomération stéphanoise illustre bien ces unités urbaines où l’habitat y est continu. Déjà, à la fin des années quatre-vingt-dix Saint-Étienne, sa couronne et les communes de la vallée de l’Ondaine formaient une unité urbaine avec 290 000 habitants. Depuis le recensement de 2007, l’Insee souligne que « l’unité urbaine de Saint-Étienne a accompli la jonction avec Saint-Chamond, l’ensemble incluant la vallée du Gier jusqu’à Rive-de-Gier ». cela signifie que désormais entre Saint-Étienne et Saint-Chamond les zones d’habitation sont continues. L’Insee explique cette continuité du fait que « des bâtiments sont distants de moins de 200 mètres ». Pour l’Institut de la statistique, l’unité urbaine de Saint-Étienne compte 33 communes et 372 967 habitants. Des chiffres qui comprennent trois communes de la Haute-Loire (Aurec-sur-Loire, Pont- Salomon et Saint-Féréol-d’Auroure). L’extension de l’unité urbaine entraîne le passage de communes du rural à l’urbain. En Rhône-Alpes 280 communes ont changé de statut.

Dans la Loire, la population urbaine est estimée à 598 027 habitants sur 759 948 habitants. Une population urbaine stable puisqu’elle a augmenté de 1 % entre 1999 et 2007.

 

 

Dominique Goubatian


11/07/2011
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Il est encore temps de sauver les bistrots !

par Mandon, dimanche 6 juin 2010, 18:06

Déjà, en 1974, un journaliste de l'Express m'avait interviewé sur le thème des cafés et la communication, thème développé dans ma thèse et "Les barbelés de la culture". Amusant, tant d'années après...

 

Article publié le 22.05.2010 04h00 - Le Progrès.fr


Loire
Les bistrots en voie de disparition : 2/3 des enseignes fermées en trente ans

Il est encore temps de sauver les cafés. Comme l'on peut encore sauver les dernières boulangeries, boucheries et épiceries de village. En osant tout simplement pousser la porte de ces estancots pour boire un verre / Claude Essertel

zoom

Dans les campagnes comme dans les villes, les cafés ferment progressivement leurs portes. Il est encore temps de les sauver

On ne verra plus, un jour, ces vieux, attablés, en train de taper le carton sur une table en formica, un verre de rouge à portée de main. On ne verra plus ces jeunes, assis sur les tabourets au zinc, boire un demi, avant de partir faire une virée entre copains. L'interdiction de fumer dans les lieux publics, l'envolée des prix et le changement des mentalités auront eu raison de ces moments de vie où des hommes et des femmes prenaient encore le temps de vivre, d'échanger.

A force de tout sacrifier sur l'autel de la rentabilité et du temps, viendra un jour où toute forme de vie aura disparu en zone rurale. Et pour être tranquille, la vie à la campagne sera alors vraiment tranquille... Aujourd'hui, la Loire compte à peine plus de 2300 licences IV permettant de vendre tous types de boissons, dont 700 pour la seule ville de Saint-Etienne. En trente ans, le département a perdu les deux tiers de ses cafés.

Surtout, n'en parlez pas à Daniel Mandon, le maire de Saint-Genest-Malifaux. L'homme, puits de savoir, est intarissable sur le sujet. Il a consacré des pages et des pages de littérature aux cafés, lieux de sociabilité populaire. «Dans toutes les arrières-salles des bistrots, dans les campagnes, se réunissaient jadis les associations, les sociétés d'histoire, les partis politiques, les syndicats, les chansonniers, les écrivains... Durant des siècles, on a vécu avec les cafés, qui avaient aussi un rôle de compensation des graves frustrations liées à l'habitat, au travail», écrit Daniel Mandon, qui a toujours défendu la place du café dans la vie sociale, sans jamais occulter l'alcoolisme dans ces établissements jugés à une époque comme des lieux de perdition. Ce succès des cafés à la fin du XVIIIe siècle correspond aussi à l'apparition d'un nouveau public en ville, avec les clubs, les loges maçonniques, les sociétés littéraires. Des cafés qui ont aussi toujours été marqués par la spécialisation de la clientèle qu'ils accueillaient : les cafés des métallos dans Gier, les cafés des mineurs de l'Ondaine, ceux des armuriers à Saint-Etienne, des verriers dans le Forez... Mais les temps ont changé. Et là où il y avait dix ou vingt cafés il y a 30 ou 40 ans, il n'en reste souvent plus qu'un ou deux. Et parfois plus du tout. Au grand désespoir des maires ruraux qui cherchent par tous les moyens à rouvrir un bar pour redonner vie à leur village.

La réglementation draconienne, en matière de vente et de consommation d'alcool et de tabac, a donné le coup de semonce à ces établissements jadis «bruyants de vie et d'histoires à dormir debout, où des gens, éclopés de la vie, se requinquent à coups de canons de blanc ou de rouge, comme on dit à Saint-Etienne». Alors, il est encore temps de sauver les cafés. Comme l'on peut encore sauver les dernières boulangeries, boucheries et épiceries de village. En osant tout simplement pousser la porte de ces estancots pour boire un verre. En prenant le temps, tout simplement, d'écouter les propos de comptoir sans importance où se font et se refont des vies à l'infini.

Après la fête de la musique et la fête des voisins, qui aura un jour le courage d'inventer la fête des bistrots pour réhabiliter ces hauts lieux de vie populaire?

Frédéric Paillas
fpaillas@leprogres.fr


06/06/2010
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